Biyan

2007

C’est après s’être fait peindre le corps et le visage par les Himbas en Namibie que Charles Fréger décide de retourner en Chine, à Pékin, où il avait réalisé en 2005 la série Opéra, avec cette fois à l’esprit l’idée de passer devant l’appareil photographique. De l’opéra, dont les codes et symboliques lui avaient jusqu’alors échappé, il avait retenu dans ses clichés les qualités esthétiques des silhouettes, leurs formes et leurs couleurs. Pour ce deuxième voyage, il travaille avec maquilleurs et costumiers de l’opéra, avec pour théâtre des opérations, son propre corps. Le désir tenace est celui de rompre la distance réglementaire entre le photographe et son sujet, d’éprouver, par ces tentatives, le sentiment de devenir autre, de se glisser dans la peau d’un soi fantasmé. La série Biyan retrace la transformation graduelle du visage de l’artiste sous l’action du maquilleur de l’opéra, elle précède la réalisation de son costume, élaboré pour le personnage qu’il s’est créé, le général Lu Quan Ran, qu’il incarne dans une performance filmée. Charles Fréger se sera transformé, comme il le répétera à l’occasion de la série Fantasias notamment. Dans ce voyage vers l’altérité, il aura éprouvé cette distance insoluble entre soi et l’Autre et le plaisir intarissable que ces allers retours charrient. L’Autre demeure autre, et Charles Fréger de se délecter de ce chemin à parcourir et lui aussi en mouvement.
A l’aune de cette résistance, l’artiste met à l’épreuve et mesure son désir, comme il fait l’expérience et met en évidence les particularismes identitaires et la profondeur de leurs ancrages. La force motrice à l’initiative de l’œuvre réside dans cette tension et cette persistance du désir d’aller vers la communauté, et in fine, vers le monde.