2007
Les Himbas sont un peuple du nord de la Namibie apparenté aux Hereros auxquels Charles Fréger consacre conjointement une série. Il part pour Opuwo, près de la frontière avec l’Angola, à la rencontre de ces deux « familles » unis par une même langue. Avec les Himbas se posent d’abord à lui la question de la représentation d’une tribu et de traditions qui de prime abord peuvent être considérées comme primitives. Le symbole de l’appartenance de l’individu à la communauté ne tient pas ici dans un uniforme manufacturé à enfiler, artefact élaboré suivant un répertoire codé de formes et de couleurs. L’expression « seconde peau » s’applique chez les Himbas de manière littérale. Leur tenue consiste en un onguent de terre rouge mêlé à de la graisse et réparti uniformément sur le corps nu et les cheveux. Seuls quelques colliers, des coiffures parfois tressées et un pagne viennent agrémenter leur « habit ». Le photographe fait le portrait d’hommes, de femmes et de quelques enfants Himbas, reprenant là son protocole, plein pied ou buste, souvent devant un mur à l’entrée de la ville voisine, ou devant une hutte au village. Il n’est pas de tension dans cette série mais le sentiment d’un état de quiétude. L’individu n’apparaît pas pris dans un rhizome de signes, la tenue est minimal, tout comme l’environnement, dont le photographe tient à rendre compte davantage qu’en arrière-plan des portraits, en dédiant au paysage, c’est une première, quelques plans. Mais par-delà ses airs tranquilles, la série détient un rôle clé dans le développement de l’œuvre. C’est à contempler cet état premier de l’uniforme-peau et à fréquenter les himbas, qui l’accompagnent également dans son projet sur les Hereros, que le photographe pressent un prolongement possible de ce qu’il avait entamé avec la série Rikishi, lorsqu’il avait franchi le tawara, la limite du cercle de combat des sumos, et symboliquement, avait été accepté dans le périmètre de la communauté. De cette volonté qui grandit alors en lui de quitter la position périphérique qui est habituellement assignée au photographe, il veut faire acte. Il demande aux Himbas de lui appliquer le même onguent rouge, un Herero prendra les photographies témoignant de sa transformation progressive. Pour la première fois, il passe de l’autre côté, il n’est plus en marge du groupe mais à l’intérieur, il n’est plus face au sujet, à le viser derrière l’objectif, mais à côté de lui. C’est là la première concrétisation de son désir de gagner la communauté, d’aller vers l’Autre, tout comme sa première expérience de la vanité de ce désir : l’opacité irréductible de l’Autre, toujours, le maintient à distance. La série des Himbas ouvre une dimension nouvelle, performative, au sein d’une œuvre qui ne pourra plus se satisfaire d’une définition strictement photographique. Il n’aura de cesse au cours des prochaines années de mettre en scène ce désir de gagner le corps de la communauté, que ce soit celle de l’Opéra de Pékin, des gardes royales et républicaines d’Empire ou des Fantasias du Brésil, réalisant tour à tour, son costume et personnage d’opéra, son uniforme de garde ou encore son propre char de carnaval.
