Yokainoshima

En 2013, son tour d’Europe des mascarades hivernales (Wilder Mann) tout juste achevé, Charles Fréger entreprend une campagne photographique explorant les figures masquées rituelles du Japon. S’il connaissait déjà le pays pour avoir notamment photographié ses lutteurs de sumo (Rikishi, 2002-2003), il ignorait tout de son monde rural. C’est là le sujet de Yokainoshima : par l’inventaire de ces figures masquées, peindre le visage des campagnes japonaises, des traditions qui rythment la vie des habitants et de la terre qu’ils foulent et travaillent. Au cours de ses cinq voyages, le photographe parcourt de nombreuses régions, tant dans les terres que dans les îles, et fait l’expérience du relief si particulier du Japon, de son étendue et des phénomènes naturels qui le secouent à échéance régulière. Cette exploration extensive de l’archipel lui permet d’appréhender de manière sensible la raison de cette relation empathique des Japonais à leur environnement et leur extrême conscience de la vitalité de la nature. Yokai, oni, tengu et kappa, que l’on pourrait définir comme spectres, monstres, ogres et farfadets, sont autant d’incarnations de ces figures rituelles imaginées par l’homme et incarnées lors de festivals et cérémonies pour tenter d’apprivoiser les éléments et de donner sens aux événements naturels. Cette série photographique présente au regard et à la connaissance une variété de formes existantes sur le territoire japonais, remplissant là sans conteste un objectif documentaire. Pourtant, Charles Fréger ne recherche pas plus le réalisme des situations qu’il ne vise à l’exhaustivité. Le portrait réalisé de son sujet est évidemment partiel et partial. Hérons, cerfs, ogres, démons et autres figures d’un bestiaire nippon sont présentés hors des festivités, évoluant dans les rizières, les champs ou les flots.
Yokainoshima (l’île aux Yôkai) prend place sur la cartographie personnelle de Charles Fréger, celle qu’il continue de tracer série après série, faite de contrées habitées d’une humanité aussi terrienne que fantasque.