C’est pour répondre à une commande de l’ONG Right to Play, une organisation britannique s’attachant à restituer le goût et la pratique du jeu et du sport aux enfants de pays en difficulté, que Charles Fréger se rend à Kigali. Il décide de concentrer son attention sur un orphelinat de la ville. Garçons et filles y sont présents, de tous les âges. Ce sont majoritairement des enfants dont les parents sont morts lors du génocide commis par les Hutus sur le peuple Tutsi plus de dix ans auparavant, ou des enfants, certains séropositifs, dont les parents sont décédés des suites du sida.
Le photographe reprend son protocole mais choisit délibérément ici de s’en tenir à une économie stricte du cadre. Il se contraint à ne pas sortir de l’orphelinat, s’installe dans une salle, qu’il ne quittera pas. L’environnement se réduit à un mur aux tons jaune sable, rien pour emporter le regard au-delà du sujet qui se tient face à lui. La salle fonctionne comme un studio à l’ancienne, où les enfants se succèdent : les filles dans leur uniforme bleu, les garçons en beige. Regard frontal ou en biais, corps de profil ou de dos, station debout ou assise, Charles Fréger leur laisse toute liberté d’évoluer face à lui, sans plus de consignes. Libre d’agripper dans un geste de pudeur son vêtement et de le tordre, libre d’enlacer un camarade qui se joint à la séance : chacun est là, présent pour « son » moment. Et le photographe de se remémorer avoir ressenti à quel point chacun d’entre eux avaient saisi ce temps et cet espace du portrait comme une parenthèse où l’introspection leur était permise.