2009
Avec Short School Haka, Charles Fréger poursuit l’exploration, entamée avec la série Hereros, de phénomènes culturels syncrétiques. A l’origine de cette série, se trouve une commande du musée d’Art Moderne de Vienne, en Autriche. Il est question de réaliser quarante-cinq photographies de très grande taille, la liberté du sujet est laissée entière. Charles Fréger choisit de partir pour la Nouvelle-Zélande et la culture maori, et ses intrications au sein de la culture britannique coloniale. C’est dans une école maori, à trois heures de route de Wellington, qu’il travaille son sujet. Là, au moins une heure par jour, les élèves pratiquent le haka, comme part de leur enseignement. Le tatouage, inhérent à la culture maori, est proscrit sur le visage, mais l’école le tolère tant qu’il n’est pas permanent. Certains se font tatouer le corps, d’autres le feront au sortir de leurs études, mais tous, pour pratiquer le aka, particulièrement lors des fêtes, se tatouent le visage au marqueur, souvent aux motifs de leur famille.
Charles Fréger les emmène hors de l’école, dans les champs avoisinants. L’étendue verte devient son studio. Les élèves s’y succèdent l’un après l’autre, parfois par paire. Devant lui, ils exécutent les mouvements du short school haka, le chant de l’école. Chaque mouvement est décomposé. La charge brute de ce chant à la dimension tribale éclate à l’image et déborde l’uniforme hérité de la culture anglaise, bien incapable de contenir la puissance du rite. La rectitude des cols en V et des vestons boutonnés capitulent devant les contorsions des grimaces qui défigurent les visages, traversés des courbes et déliés noirs tournoyant sur leurs profils, langues pendantes. Charles Fréger photographie cette zone de friction, quand l’uniforme scolaire issu d’une culture coloniale recouvre une culture indigène qui ne demande qu’à ressurgir et démontre comment les usages et le temps parviennent à ménager une curieuse zone d’entente entre deux entités originellement étrangères.