Rikishi

À cette époque, quand le photographe n’est pas en Finlande à photographier des patineuses, il est à Tokyo et dans les préfectures environnantes avec les lutteurs de sumo (rikishi), dans leurs écoles et leurs clubs. Il effectue cinq voyages consécutifs pour ce projet, cinq allers-retours pour pouvoir approcher la culture sumo et se familiariser avec ces codes, ces rituels et ces corps. Il photographie beaucoup, enfants, adolescents, adultes. Aucun n’est bête curieuse devant son objectif, le corps en surpoids n’est pas son sujet. Il s’intéresse à la peau, aux plis de la peau, c’est là leur uniforme, avec la ceinture bleue, verte, beige (mawashi) et les petites couettes qui signalent que l’on a affaire à un professionnel. Le corps est rarement saisi dans une pose appartenant à la culture sumo, l’attitude est simple, le plus souvent les bras le long du corps, évacuant démonstrations de force et virilité. Parfois, le lutteur est installé devant un rideau de ceintures, d’autres fois, il est disposé devant un mur d’autres corps, vus de face ou de dos, comme pour rappeler ce cercle dans lequel le rikishi entre pour combattre et la communauté de corps qu’il a rejoint. Si Rikishi occupe une place essentielle dans l’œuvre, c’est qu’elle augure d’un positionnement nouveau du photographe face à son sujet. Pour réaliser la photographie, il négocie, à chaque prise de vue, son entrée dans le cercle de combat, dont on perçoit ça et là à l’image les quelques sacs de pailles de riz qui en délimite le contour au sol (tawara). Accéder à ce périmètre sacré, interdit aux femmes et réservé aux seuls lutteurs, c’est gagner son entrée dans un autre cercle, celui de la communauté. À l’intérieur du cercle, ce sont désormais le rituel et les règles du photographe qui s’appliquent. Ce processus de négociation et d’acceptation deviendra essentiel à ses réalisations ultérieures. Y participe : son appropriation de tout ou partie de l’uniforme. Ici, il aura sa propre ceinture sumo, plus tard, avec la série Empire, il ira jusqu’à confectionner son uniforme, suivant ses couleurs, son blason et sa devise qui lira : « Avec mon désir, j’entre seul dans le cercle ». Le tawara sera le premier des périmètres traversés.