AAM AASTHA

Charles Fréger a constitué depuis 1999 un important corpus photographique, prenant invariablement pour figure centrale, l’être humain et ses peaux sociales. Tantôt vêtu d’un uniforme, tantôt couvert d’un grimage tigré ou d’un habit de mousse, l’être apparaît dans son devenir-homme, dans son devenir-animal, végétal. L’habit tient son rôle et incarne, ici le lien à la communauté, là aux cycles de la nature, aux croyances. Réalisés sur plusieurs années, ses projets ont pour finalité le livre : essais d’écrivain.es et notices de chercheur.es entourent la photographie qui laisse tant place à la fiction qu’elle documente comment l’être, de par le monde, invente le rapport aux siens, et plus largement, au monde vivant.

Le projet photographique Aam Aastha, réalisé en Inde de 2019 à 2022, s’inscrit dans le prolongement des séries réalisées par Charles Fréger sur les mascarades dans le monde : Wilder Mann (depuis 2010), Yokainoshima (2013-2015), Cimarron (2014-2018).

En Inde, le photographe est allé à la rencontre d’un panthéon aux mille visages : les divinités sont ici légion et s’incarnent à l’occasion de performances sacrées ayant lieu dans les temples, les théâtres et les rues. Variant selon les régions, les communautés ethniques et religieuses mais aussi au gré de l’actualité, la figuration des dieux redistribue, le temps de la mascarade, les rôles sociaux assignés. Celui et celle qui jouent deviennent, par le costume, les incarnations réelles et temporelles du dieu : au changement d’apparence s’associe un changement de statut. Aam Aastha, dont le titre renvoie à ces « dévotions communes », retient ces saisissants avatars et révèle le jeu masqué des représentations, entre renfort du pouvoir et subversion dans un contexte politique dominé par un hindouisme nationaliste qui tend à uniformiser les pratiques ancestrales.